Épisode 63

Enseignant satisfait, parent inquiet : et si les deux avaient raison ?

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Lorianne Lacerte - Icône - Apple podcastÉcouter sur GoogleÉcoutez sur Spotify

Enseignant satisfait, parent inquiet : et si les deux avaient raison ?

Je vais te raconter l’histoire d’une jeune fille que je connais. 

Pour ce texte, je vais l’appeler Annabelle.

Beaucoup de gens ne le savent pas, mais Annabelle est très anxieuse. 

Et l’un des moments les plus anxiogènes pour Annabelle lorsqu’elle était au secondaire, c’était le cours d’éducation physique.

La veille d’un cours, elle pleurait. Elle faisait tout pour convaincre ses parents de rester à la maison, tout pour éviter le gymnase. 

Mais, un jour, pendant une rencontre parent-enseignant, l’enseignante du cours d’éducation physique a pris les parents d’Annabelle par surprise. 

En les voyant, elle a dit que leur fille arrivait toujours au gymnase avec un beau sourire, et qu’elle faisait beaucoup d’efforts pour participer aux activités avec les autres. Selon elle, Annabelle semblait aimer les cours d’éduc. Elle semblait s'amuser.

Les parents n’ont rien dit, mais ils ne comprenaient pas. Le soir, leur fille pleurait parce qu’elle avait un cours d’éducation physique le lendemain, mais quand elle était devant son enseignante, elle souriait ?! Participait avec les autres ?! Semblait heureuse ?! 🤨

Si je te raconte ça, c’est parce qu’Annabelle n’est pas un cas isolé.

En tant qu’orthophoniste, j’entends souvent parler de situations comme ça. 

Et parfois, quand j’évalue un enfant, j’ai l’impression qu’il y a deux versions du même jeune : une version en milieu scolaire, et une version à la maison. La version que connaît l’enseignante, et la version que connaît le parent.

Dans tout ça, on pourrait se demander qui a raison. Est-ce que c’est le parent, ou l’enseignante ? 

Et si je te disais que… c’est les deux ?! 😯

Un enfant, trois versions

Disons qu’il y a une maman du nom de Stéphanie, et qu’elle a un fils de 9 ans qui s’appelle Antoine. Il est en quatrième année. 

La version de Stéphanie, la maman

Stéphanie est inquiète pour Antoine, qui est épuisé quand il revient à la maison après une journée d’école. 

Lorsqu’il arrive, Stéphanie essaie de faire ses devoirs avec lui, mais il en est incapable. 

Antoine regarde la feuille d’exercices, et il se décourage. Il dit qu’il ne comprend rien, qu’il n’est pas bon, et qu’il déteste l’école.

Si Stéphanie le pousse un peu plus, au moins pour qu’il tente de faire l’un des exercices, il se met en colère. 

Vraiment, ça ne va pas bien pour Antoine.

Stéphanie décide donc d’en parler avec son enseignante.

La version de l’école

L’enseignante d’Antoine, Mme Annie, trouve qu’il s’en sort très bien en classe. 

Selon elle, c’est un garçon intelligent, sociable et calme. Il s’entend bien avec ses pairs, et même si ce n’est pas le premier de classe, il réussit bien ses travaux. 

Pour Mme Annie, Antoine n’est pas un cas particulièrement inquiétant. Elle n’a donc jamais vraiment songé à le référer à l’orthopédagogue de l’école… En plus, sa collègue est déjà débordée ! 😬

Lorsque Stéphanie, la maman d’Antoine, appelle Mme Annie, cette dernière est surprise. Le portrait que dresse la mère du garçon ne correspond pas du tout à l’enfant qu’elle côtoie tous les jours. Épuisé, incapable de faire ses devoirs, triste, fâché… ?! 

C’est comme si les deux femmes ne parlent pas du même enfant.

Vu qu’elle ne s’en fait pas trop pour Antoine, Mme Annie tente de rassurer Stéphanie. Elle mentionne que tout va bien à l’école et qu’elle ne pense pas qu’il y ait de problème sous-jacent avec son fils.

Ça fait 10 ans qu’elle enseigne, et elle en a vu de toutes les couleurs ! Antoine, ce n’est pas un enfant en difficulté. 

Il va bien. 

C’est donc ce qu’elle dit à sa maman, en espérant la calmer. 😅

La version de l’orthophoniste

Suite à l’appel qu’elle a eu avec Mme Annie, Stéphanie était rassurée.

Mais, ça fait déjà quelques semaines, et les choses ne s’améliorent pas à la maison.

Antoine est toujours aussi fatigué, et il ne veut rien savoir de ses devoirs. Il n’arrête pas de dire que c’est trop difficile, qu’il ne comprend rien, qu’il ne réussira pas.

Chaque jour, lorsqu’il revient de l’école, c’est une bataille.

Stéphanie décide donc de faire évaluer son fils en orthophonie. Elle est tannée, et elle souhaite mieux comprendre le comportement d’Antoine. Elle veut des réponses.

Pendant 2 matins, Antoine se retrouve donc dans le bureau d’une orthophoniste, à faire diverses tâches d’évaluation.

Puis, quelques semaines plus tard, l’orthophoniste rencontre Stéphanie pour lui expliquer les résultats.

La conclusion orthophonique ? 

Non, ce n’est pas un trouble de personnalités multiples ni de la bipolarité ! (De toute façon, les orthophonistes n’évaluent pas ce genre de difficultés 🙅‍♀️). 

Antoine a plutôt un TDL, c’est-à-dire un trouble développemental du langage.

Donc, c’est Stéphanie qui avait raison ?

C’est vrai, Stéphanie et Mme Annie n’avaient pas du tout la même vision d’Antoine.

Pour Stéphanie, Antoine était un enfant en difficulté, et pour Mme Annie, tout allait bien.

Donc, suite au diagnostic de trouble développemental du langage, est-ce qu’on peut conclure que Mme Annie était dans le champ ? 😅

Pas tout à fait.

En réalité, Antoine agissait différemment quand il était à l’école et quand il était à la maison. 

On pourrait dire qu’il y avait deux versions d’Antoine. Et, en fait, c’est l’une qui amenait l’autre.

Qu’est-ce que je veux dire ? 🤔

Je t’explique.

Si tu as écouté l’épisode précédent (l’épisode 62), dans lequel je discute avec Isaël Morin et Judith Labonté, tu étais sûrement surprise d’apprendre qu’Isaël a réussi à cacher son bégaiement pendant de nombreuses années. C’est toute une affaire ! 

Imagines-tu les efforts que ça a pris ? Chaque phrase, chaque mot, chaque syllabe qu’il disait était calculé. Je suis certaine que si on lui demandait, il dirait qu’après une journée passée à parler à des clients au travail, il était dead. Kaput. Épuisé. 😫

En tout cas, à sa place, je l’aurais été !

On pourrait dire, en quelque sorte, que c’était semblable pour Antoine.

Toute la journée, il faisait de gros efforts pour faire comme les autres. Lire, écrire, parler avec les amis, comprendre ce que l’enseignante explique… Tout ça, c’était simple pour les autres, mais c’était exigeant pour lui. 

Tout ça, c’était épuisant.

Mais ça ne paraissait pas qu’Antoine devait faire de gros efforts.

Donc, oui, Mme Annie avait raison de dire qu’à l’école, tout allait bien. Antoine faisait en sorte que tout aille bien. Ça avait l’air comme si tout allait bien. Elle ne voyait pas ce qui se passait dans la tête d’Antoine, elle ne savait pas à quel point il faisait des efforts pour réussir comme les autres élèves.

Mme Annie n’avait donc aucune raison de s’inquiéter pour Antoine.

Mais…

Une fois rendu à la maison, avec sa maman qui l’aime inconditionnellement et qui ne le juge pas 🥰, Antoine laissait enfin le poids de sa journée l’écraser. Comme on dit en bon québécois, il n’avait « pu de jus ». Si sa maman lui demandait de lire quelques pages avec elle, ou de pratiquer les mots de la semaine, c’était trop. C’était la goutte qui faisait déborder le vase.

Il devenait une autre version de lui-même, une version complètement contraire à celle qu’il avait montrée à l’école. 

Parce que là, Antoine, il n’en pouvait plus.

(Petite parenthèse : une psychoéducatrice que j’aime bien, Sara Hamel, a fait une publication sur Instagram sur la décharge émotionnelle des enfants. Je trouve que ça explique pas mal bien pourquoi un enfant peut être super correct à l’école, et s’effondrer quand il arrive à la maison !).

Donc, si on revient à Antoine, on peut dire que la maison, pour lui, c’était un safe haven. Un refuge. Un endroit où il pouvait être lui-même.

Sauf que, en réalité, Antoine n’était pas lui-même quand il arrivait de l’école.

C’est plate à dire, mais le Antoine qui était à l’école, et le Antoine qui revenait de l’école, bien que très différents, n’étaient pas le « vrai » Antoine. Aucune des deux versions ne représentait vraiment qui il était.

D’un côté, il y avait la version qu’il créait pour réussir à l’école, et de l’autre côté, il y avait la deuxième, qui était en fait le résultat de la première version. 

Je ne te perds pas trop ? 😂

Que dire de l’orthophoniste ? Comment a-t-elle diagnostiqué un trouble développemental du langage ?

As-tu déjà écouté la version acoustique ou stripped d’une chanson que tu aimes ?

Je vais te donner un exemple avec une toune connue : Everlong des Foo Fighters. Si tu écoutes la version qui est passée à la radio et que tu la compares avec la version acoustique, tu verras (ou entendras 😜 !) une grande différence.

Les paroles et l’air sont les mêmes, mais la version acoustique a beaucoup moins de fla-fla.

C’est simple, raw et authentique.

Dans un sens, quand une orthophoniste rencontre un enfant pour une évaluation, c’est ça qu’elle recherche.

Elle cherche la version acoustique de l’enfant, celle qui se cache derrière tous les instruments.

Elle cherche une mélodie, et des paroles. Un instrument, une voix.

Une version simple, raw et authentique de l’enfant.

Pour faire ça, on expose l’enfant à diverses tâches, des tâches qui ne ressemblent pas à celles qu’il fait à l’école.

Non, ces tâches sont différentes. Elles sont faites exprès pour évaluer les capacités langagières et académiques.

Pour accomplir ces tâches, l’enfant doit mettre de côté les stratégies compensatoires dont il se sert habituellement. Il ne peut pas les utiliser.

En tant qu’orthophoniste, on voit donc ce qui se trouve en dessous des stratégies, en dessous des beaux résultats scolaires de l’enfant. Dans un sens, on joue dans le bobo.

Et, après avoir fait ce travail, le résultat qu’on voit est souvent moins « beau » que celui que l’élève projette à l’école. 😔

Mais, au moins, c’est la version réelle de l’enfant. 

En ayant cette version, on peut déterminer la racine du problème. 

Dans le cas d’Antoine, c’était un trouble développemental du langage. Ça grugeait toute son énergie, donc il n’en pouvait juste plus une fois rendu à la maison.

Par contre, ça ne s’arrête pas là. 

Une fois le problème identifié, on peut apporter l’aide nécessaire. Crois-moi, ça fait toute la différence ! 🙌

Que retenir de cet épisode ?

Voici 5 choses que tu peux retenir de cet épisode.

1. Si tu soupçonnes que ton enfant a des difficultés scolaires, parles-en à son enseignante. 

Peut-être que, comme dans l’exemple avec Antoine et Mme Annie, l’enseignante te dira qu’elle n’est pas inquiète. Si c’est le cas, ne t’arrête pas là.

N’oublie pas que l’enseignante doit s’occuper d’une vingtaine d’élèves en même temps, et que certains ont des difficultés très flagrantes.

Ce n’est pas parce que les difficultés de ton enfant lui sont invisibles qu’elles n’existent pas.

Relis donc ça. 😉

Ce n’est pas parce que les difficultés de ton enfant sont invisibles aux yeux de son enseignante qu’elles n’existent pas.

2. Tu n’es pas une mère fatigante.

Si tu reviens souvent à la charge avec l’enseignante de ton enfant et que chaque fois, elle essaie en vain de te rassurer, ne te dis pas que tu es fatigante et que tu devrais juste te fermer la trappe. 

C’est important que tu verbalises tes inquiétudes concernant ton enfant. 🙌

C’est quand même ton enfant à toi, et tu le connais mieux que les autres.

3. Tu n’es pas une mère trop exigeante avec ton enfant.

Si tu t’inquiètes au sujet de ton enfant, ça ne veut pas non plus dire que tu es une mère exigeante. Ça veut juste dire que tu te soucies du bien-être de ton enfant. Et non seulement que c’est normal, mais c’est aussi essentiel ! 

4. N'en veux pas à l’enseignante.

L’enseignante fait de son mieux, mais elle ne peut pas savoir ce qui se passe dans le cerveau de ton enfant. 

Si les résultats scolaires sont beaux et que ton enfant semble heureux, elle n’est pas pour commencer à se faire des scénarios comme quoi il a un TDL non diagnostiqué et qu’elle devrait lui apporter de l’aide au plus vite.

Elle ne peut pas tout savoir, et elle a d’autres enfants à gérer dans la classe (ceux qui ont des difficultés plus visibles). 

Donc, si elle te dit que tu n’as pas à t’inquiéter, c’est parce que, en se fiant à toutes ses connaissances sur ton enfant, elle juge que c’est la vérité. Elle pense que tout est beau parce que tout semble beau.

Comme Annabelle, que j’ai mentionnée en intro, ton enfant joue juste bien son rôle.

5. C’est mieux d’agir avant que tout pète.

Ton enfant, c’est comme un élastique qui peut snapper à tout moment.

Présentement, il arrive à compenser, mais ça va durer jusqu’à quand ? Un jour, comme Isaël, il ne sera peut-être plus en mesure de cacher cette partie de lui.

N'attends donc pas que ça aille mal à la maison et à l’école avant de faire quelque chose. Dès que tu es inquiète, discutes-en avec l’enseignante, et si sa réponse ne te rassure pas ou si un peu de temps passe et que tu es encore inquiète, demande de l’aide à un professionnel. 

Tu peux me demander à moi, si tu veux. 😉 Mon abonnement mensuel est exprès pour ça.

Bref, je veux que tu saches que si tu as reconnu ton enfant en lisant l’anecdote d’Annabelle et l’histoire (fictive, mais réaliste) d’Antoine, tu n’es pas seule. 

Je t’encourage même à m’en parler. N’hésite pas à m’écrire par courriel (info@loriannelacerte.ca) ou à me joindre sur les réseaux sociaux ! 

Même chose si tu es enseignante et que tu vois ce genre de situation survenir, ou si tu es orthophoniste et que tu te retrouves souvent entre le parent et le milieu scolaire.

Je veux connaître ton histoire. 🤗

Si ce n'est pas déjà fait, suis-moi sur Instagram (@lorianne_orthophoniste). Tu peux aussi me suivre sur Facebook et m’écrire un courriel à l’adresse suivante : info@loriannelacerte.ca.

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Dans cet épisode, Lorianne Lacerte, orthophoniste, parle des élèves qui réussissent bien à l’école, mais qui ont des manifestations de difficultés langagières ou académiques à la maison.
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